Le département s’en veut, sans méchanceté, d’avoir des voisins (alsaciens) qui, la nature ayant horreur du vide, ont pris l’habitude de raconter son passé à sa place. Mais il ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Ce n’est pas sa dimension réduite qui est en cause, ce n’est pas non plus la confiscation de son nom, mais seulement cette incroyable difficulté à détailler ses malheurs. Alors que les Alsaciens ont raconté les leurs depuis longtemps. Un exemple de cette récupération continuelle est le tout frais musée de Schirmeck où le particularisme mosellan se retrouve totalement délayé.
Et s’il existait une raison plus fondamentale à cette impuissance? Une complexité si profonde qu’elle ne sauterait pas aux yeux ? Il y en a une, en effet, dont les Français de l’intérieur n’ont pas conscience. Il s’agit de la séparation linguistique.
Beaucoup de Français croient encore qu’on parle allemand très naturellement dans toute l’Alsace-Lorraine, comme ils disent...
C’est déjà grossièrement faux. Et comme par hasard, c’est en Moselle que la situation est la plus singulière. Une diagonale des langages sépare le département du nord-ouest au sud-est. On pourrait dire moitié-moitié. Elle daterait, dit-on, de l’arrivée de Clovis, au Vème siècle et c’est au nord que son langage a subsisté. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un dialecte allemand, mais d’une langue germanique, ce qui n’est pas la même chose. Mettez-vous à la place d’un jeune écolier de Bordeaux ou de Brest... il lui est déjà difficile de comprendre que les Francs de Clovis étaient des Alamans ! C’est comme si on lui disait que les Italiens sont des Espagnols. Alors, lui parler d’une coupure linguistique... Une bizarrerie de l’histoire en somme... C’est pourquoi, même en Moselle, on ne s’en vante jamais. Comme s’il était banal qu’à quelques kilomètres de Montigny, on puisse encore passer du parler roman au germanique en allant d’un village à l’autre, tout en se disant que les deux mentalités mitoyennes n’ont pas changé depuis 1500 ans. Pour ne pas dire le double, les spécialistes en discutent. Et cette réalité magnifique survit souvent aux deux bouts d’un chemin dont les fleurs, au printemps, seront toujours les mêmes.
.J.G