Soumis à une nazification d’abord perfide et plus tard brutale, les restés pensaient que, tout compte fait, dans leur village perdu au fond de l’Auvergne, des Alpes ou des Pyrénées, les expulsés avaient eu de la veine. Les cruelles expulsions de l’automne 1940 avaient bel et bien réveillé les démons. L’espoir de la revanche, qui avait aidé les Mosellans francophones à ne pas sombrer si loin de chez eux, se radicalisa pour certains. Dès leur retour en 1945, ils fulminèrent, c’est humain, contre tout ce qui était “Boche”, tout ce qui était allemand, et même, sans trop oser le dire, tout ce qui était frontalier. Le résultat fut catastrophique dans les années qui suivirent. Replonger douce ambiguïté mosellane dont nous avons déjà parlé, mal emboitée certes, depuis la Convention, mais stabilisée tout comptes faits, après la défaite de 1870. Devenus Prussiens, les Mosellans s’étaient inventés une culture populaire de voisinage, et les mariages mixtes étaient fréquents. Cette cohabitation les avait rendus solidaires et même capables de faire le tri en 1919, après un petit demi-siècle de manipulation autoritaire, entre ce qui était insupportable, ce qui était vivable et même ce qui était socialement mieux organisé. En 1919, deux générations de Mosellans avaient donc arrondi les angles. La plus grande partie des élites francophones avait depuis longtemps quitté le pays, mais il restait du monde...
J.G.