vendredi 26 février 2021

La dernière classe du 11 mai 1871 en Alsace Moselle, en juin 1940, cela s'est reproduit


Aujourd’hui, un ami m’a transmis ce très beau texte, toujours plein de sens à une époque où, par notre complicité résignée, nous sommes en train de trahir tous ceux qui se sont battus, autrefois, pour une certaine FRANCE 🇫🇷 
 
PS

Pour nos enfants,  petits-enfants et arrière-petits-enfants.. 
Alphonse Daudet  est né à Bezouce ( Gard ) entre Remoulins et Nîmes !

 


 Ce matin-là j'étais très en retard pour aller à l'école, et j'avais grand
peur d'être grondé, d'autant que M. Hamel nous avait dit qu'il nous
interrogerait sur les participes, et je n'en savais pas le premier mot.
Un moment l'idée me vint de manquer la classe et de prendre ma
course à travers champs.

Le temps était si chaud, si clair.

On entendait les merles siffler à la lisière du bois, et dans le pré Rippert
derrière la scierie, les Prussiens faisaient l'exercice. 
Tout cela me tentait bien plus que la règle des participes; mais j'eus la
force de résister, 
et je courus bien vite vers l'école.

En passant devant la mairie, je vis qu'il y avait du monde arrêté près du
petit grillage aux affiches.

C'est de là que nous sont venues toutes les mauvaises nouvelles,
les batailles perdues, les réquisitions, les ordres de   kommandantur.

Et je pensai sans m'arrêter: « Qu'est-ce qu'il y a encore ? »


Alors, comme je traversais la place en courant, le forgeron Wachter,
qui était là avec son apprenti en train de lire l'affiche, me cria:

« Ne te dépêche pas tant, petit; tu y arriveras toujours assez tôt à ton école ! »

Je crus qu'il se moquait de moi, et j'entrai tout essoufflé dans la petite
cour de M. Hamel.

         D'ordinaire, au commencement de la classe, il se faisait un grand tapage qu'on
         entendait jusque dans la rue, les    pupitres ouverts, fermés, les leçons qu'on
         répétait très haut tous ensemble en se bouchant les oreilles pour mieux apprendre,
         et la grosse règle du maître qui tapait sur les tables:

  « Un peu de silence ! »

Je comptais sur tout ce train pour gagner mon banc sans être vu; mais
justement ce jour-là tout était tranquille, comme un matin de dimanche.

Par la fenêtre ouverte, je voyais mes camarades déjà rangés à leurs places,
et M. Hamel, qui passait et repassait avec la terrible règle en fer sous le bras.

Il fallut ouvrir la porte et entrer au milieu de ce grand calme.

Vous pensez, si j'étais rouge et si j'avais peur!

Eh bien, non. M. Hamel me regarda sans colère et me dit très doucement:

Va vite à ta place, mon petit Frantz; nous allions commencer sans toi. »

J'enjambai le banc et je m'assis tout de suite à mon pupitre.

Alors seulement, un peu remis de ma frayeur, je remarquai que notre maître avait
sa belle redingote verte, son jabot plissé fin et la calotte de soie noire brodée qu'il
ne mettait que les jours d'inspection ou de distribution de prix.

Du reste, toute la classe avait quelque chose d'extraordinaire et de solennel.

Mais ce qui me surprit le plus, ce fut de voir au fond de la salle, sur les bancs qui
restaient vides d'habitude, des gens du village assis et silencieux comme nous,
le vieux Hauser avec son tricorne, l'ancien maire, l'ancien facteur, et puis d'autres
personnes encore.

Tout ce monde-là paraissait triste; et Hauser avait apporté un vieil abécédaire
mangé aux bords qu'il tenait grand ouvert sur ses genoux, avec ses grosses lunettes
posées en travers des pages.

Pendant que je m'étonnais de tout cela, M. Hamel était monté dans sa chaire,
et de la même voix douce et grave dont il m'avait reçu, il nous dit:

« Mes enfants, c'est la dernière fois que je vous fais la classe.
L'ordre est venu de Berlin de ne plus enseigner que l'allemand dans les écoles de l'Alsace
et de la Lorraine... Le nouveau maître arrive demain.
Aujourd'hui c'est votre dernière leçon de français. Je vous prie d'être bien attentifs.»

Ces quelques paroles me bouleversèrent. Ah ! les misérables, voilà ce qu'ils
avaient affiché à la mairie.

Ma dernière leçon de français !...

Et moi qui savais à peine écrire ! Je n'apprendrais donc jamais !

Il faudrait donc en rester là !... Comme je m'en voulais maintenant du temps perdu,
des classes manquées à courir les nids ou à faire des glissades sur la Saar !

Mes livres que tout à l'heure encore je trouvais si ennuyeux, si lourds à porter, ma
grammaire, mon histoire sainte me semblaient à présent de vieux amis qui me feraient
beaucoup de peine à quitter.

C'est comme M. Hamel. L'idée qu'il allait partir, que je ne le verrais plus me faisait
oublier les punitions et les coups de règle.

Pauvre homme !

C'est en l'honneur de cette dernière classe qu'il avait mis ses beaux habits
du dimanche, et maintenant je comprenais pourquoi ces vieux du village
étaient venus s'asseoir au bout de la salle.

Cela semblait dire qu'ils regrettaient de ne pas y être venus plus souvent, à cette école.
C'était aussi comme une façon de remercier notre maître de ses quarante ans de
bons services, et de rendre leurs devoirs à la patrie qui s'en allait...

J'en étais là de mes réflexions, quand j'entendis appeler mon nom.

C'était mon tour de réciter.

Que n'aurais-je pas donné pour pouvoir dire tout au long cette fameuse règle des
participes, bien haut, bien clair, sans une faute; mais je m'embrouillai aux premiers mots,
et je restai debout à me balancer dans mon banc, le cœur gros, sans oser lever la tête.

J'entendais M. Hamel qui me parlait:

«Je ne te gronderai pas, mon petit Frantz, tu dois être assez puni... voilà ce que c'est.

Tous les jours on se dit: Bah ! j'ai bien le temps. J'apprendrai demain.

Et puis tu vois ce qui arrive... Ah! ç'a été le grand malheur de notre Alsace de toujours
remettre son instruction à demain.

Maintenant ces gens-là sont en droit de nous dire: Comment !

Vous prétendiez être Français, et vous ne savez ni parler ni écrire votre langue !...

Dans tout ça, mon pauvre Frantz, ce n'est pas encore toi le plus coupable.

Nous avons tous notre bonne part de reproches à nous faire.

« Vos parents n'ont pas assez tenu à vous voir instruits.
Ils aimaient mieux vous envoyer travailler à la terre ou aux filatures pour
avoir quelques sous de plus.

Moi-même n'ai-je rien à me reprocher?

Est-ce que je ne vous ai pas souvent fait arroser mon jardin au lieu de travailler?

Et quand je voulais aller pêcher des truites, est-ce que je me gênais pour
vous donner congé ?... »

Alors d'une chose à l'autre, M. Hamel se mit à nous parler de la langue
française, disant que c'était la plus belle langue du monde, la plus claire,
la plus solide: qu'il fallait la garder entre nous et ne jamais l'oublier, parce
que, quand un peuple tombe esclave, tant qu'il tient sa langue, c'est
comme s'il tenait la clef de sa prison...

Puis il prit une grammaire et nous lut notre leçon.

J'étais étonné de voir comme je comprenais.

Tout ce qu'il disait me semblait facile, facile.

Je crois aussi que je n'avais jamais si bien écouté, et que lui non plus n'avait
jamais mis autant de patience à ses explications.

On aurait dit qu'avant de s'en aller le pauvre homme voulait nous donner
tout son savoir, nous le faire entrer dans la tête d'un seul coup.

La leçon finie, on passa à l'écriture. Pour ce jour-là, M. Hamel nous avait
préparé des exemples tout neufs, sur lesquels était écrit en belle ronde :
France, Alsace, France, Alsace. Cela faisait comme des petits drapeaux
qui flottaient tout autour de la classe pendu à la tringle de nos pupitres.

Il fallait voir comme chacun s'appliquait, et quel silence !

On n'entendait rien que le grincement des plumes sur le papier.

Un moment des hannetons entrèrent; mais personne n'y fit attention, pas même
les tout petits qui s'appliquaient à tracer leurs bâtons, avec un cœur, une conscience,
comme si cela encore était du français... Sur la toiture de l'école, des pigeons
roucoulaient bas, et je me disais en les écoutant:

        « Est-ce qu'on ne va pas les obliger à chanter en allemand, eux aussi ? »

De temps en temps, quand je levais les yeux de dessus ma page, je voyais M. Hamel
immobile dans sa chaire et fixant les objets autour de lui comme s'il avait voulu
emporter dans son regard toute sa petite maison d'école... Pensez !

Depuis quarante ans, il était là à la même place, avec sa cour en face de lui et sa
classe toute pareille.

Seulement les bancs, les pupitres s'étaient polis, frottés par l'usage; les noyers de
la cour avaient grandi, et le houblon qu'il avait planté lui-même enguirlandait
maintenant les fenêtres jusqu'au toit.

Quel crève-cœur ça devait être pour ce pauvre homme de quitter toutes ces
choses, et d'entendre sa sœur qui allait, venait, dans la chambre au-dessus,
en train de fermer leurs malles ! car ils devaient partir le lendemain, s'en aller
du pays pour toujours.

Tout de même il eut le courage de nous faire la classe jusqu'au bout.

Après l'écriture, nous eûmes la leçon d'histoire; ensuite les petits chantèrent
tous ensemble le BA BE BI BO BU.

Là-bas au fond de la salle, le vieux Hauser avait mis ses lunettes, et, tenant
son abécédaire à deux mains, il épelait les lettres avec eux.

On voyait qu'il s'appliquait lui aussi; sa voix tremblait d'émotion, et c'était si
drôle de l'entendre, que nous avions tous envie de rire et de pleurer.

Ah ! je m'en souviendrai de cette dernière classe...

Tout à coup l'horloge de l'église sonna midi, puis l’angélus.
Au même moment, les trompettes des Prussiens qui revenaient de
l'exercice éclatèrent sous nos fenêtres...
M. Hamel se leva, tout pâle, dans sa chaire. Jamais il ne m'avait paru si grand.

« Mes amis, dit-il, mes amis, je... je... »

  Mais quelque chose l'étouffait. Il ne pouvait pas achever sa phrase.

Alors il se tourna vers le tableau, prit un morceau de craie, et, en appuyant
de toutes ses forces, il écrivit aussi gros qu'il put:

  « VIVE LA FRANCE ! »

 

Puis il resta là, la tête appuyée au mur, et, sans parler, avec sa main
il nous faisait signe:

« C'est fini... allez-vous-en. »

 

              Ce conte d'Alphonse Daudet est tiré des " Contes du lundi " .

 

 L'histoire se passe en 1871 après la défaite et l'occupation de
l'Alsace-Lorraine par les prussiens ....

" L’Angélus sonna . Suivi des trompettes prussiennes .

Le français cessa d'être la langue enseignée "!

 

A lire , pour ceux qui aiment la poésie , pour ceux qui aiment  la France .

Avant peut-être que  d’autres trompettes sonnent comme  le firent à cette
époque  les Prussiennes . 

Comme cet instituteur écrivons  " Vive la France " au tableau noir pendant qu'il en est encore temps !