mercredi 2 juillet 2025

Léon XIV : un début de pontificat sobre et tout en retenue

 


Le pape Léon XIV dirige le Jubilé du sport à la basilique Saint-Pierre au Vatican le 14 juin 2025.  Alessia Giuliani / Vatican Media/CPP/Hans Lucas via AFP
Soixante jours après son élection, Léon XIV s’apprête à quitter Rome pour quelques jours de repos à Castel Gandolfo. Sans inflexion nette, son début de pontificat se caractérise par un style sobre, et une continuité assumée avec ses prédécesseurs. Mais concernant la gouvernance et les nominations à la Curie, patiencrir l’article

Quelques sacs de plâtre et du matériel de chantier sont entreposés au sol, à l’arrière du Palais apostolique. Cachés par les hauts murs de l’enceinte vaticane, ils sont acheminés par l’extérieur du bâtiment au troisième étage, vers la dizaine de pièces des appartements pontificaux.

« Après douze ans d’abandon, ils avaient bien besoin d’un rafraîchissement avant… », commence un familier des lieux, qui s’interrompt. Secret de polichinelle, le réaménagement de Léon XIV dans ces appartements n’a pas encore été annoncé. Il est donc trop tôt pour le commenter. Mais alors qu’il s’apprête à se retirer le 6 juillet dans un autre lieu délaissé par François, Castel Gandolfo, l’heure est au premier bilan.

Il est difficile à formuler. Deux mois après son élection comme 267e évêque de Rome, le nouveau pape a eu l’occasion, à maintes reprises, d’esquisser les premiers contours de son pontificat. Mais l’a-t-il vraiment fait ? Sa première interview à la télévision publique italienne, le 19 juin, ne nous a rien appris, si ce n’est qu’il s’informe : « J’essaie de suivre ce qui se passe dans tant d’endroits dans le monde », a-t-il dit.

Sans inflexion nette ni véritable annonce programmatique, ses 36 discours, 14 homélies, 7 audiences générales et 12 lettres et messages, à ce jour, révèlent une insistance sur quelques axes – unité, synodalité, vigilance face aux abus, fidélité à l’Évangile et réforme de la Curie –, une ligne pastorale socialement engagée bien que prudente, et surtout un ton sobre et formel. Mais le pape reste, pour beaucoup d’observateurs, difficile à appréhender.

Transmettre au monde

Comme Paul VI ou Benoît XVI, Léon XIV ne sort que très rarement des textes préparés. « Quand on rencontrait François, dans l’atrium à la sortie de Sainte-Marthe – où il résidait et célébrait la messe le matin –, l’atmosphère était très informelle, raconte un visiteur régulier. Le pape pouvait vous taper sur l’épaule, rire aux éclats. D’ordinaire, un pape ne faisait pas cela. Avec Léon XIV, ce qui m’a frappé, c’est son impassibilité. »

À Rome, certains y voient la fin d’une désacralisation de la fonction – « quelqu’un me faisait remarquer qu’avec François, qui improvisait beaucoup, toutes les prises de parole étaient mises sur le même plan », relève un observateur, membre d’un grand ordre religieux. Cela signe-t-il la fin des conférences de presse très libres que donnait le pape argentin dans l’avion à la fin de ses voyages ? Beaucoup l’espèrent au Vatican. La réponse devrait venir lors du premier grand déplacement de Léon XIV, pas encore annoncé, mais envisagé à l’automne en Turquie, pour les 1 700 ans du concile de Nicée.

À moins d’une surprise… « Je ne pense pas que nous aurons beaucoup de surprises », anticipe un consultant pour la Curie romaine, qui décrit le nouveau pape comme un « homme à la parole maîtrisée », et exprime cette crainte : « Je l’ai récemment entendu parler à des parlementaires de “loi naturelle”, comme le faisait Léon XIII (lors d’une audience le 21 juin, dans le cadre du Jubilé des pouvoirs publics, NDLR). Mais est-ce que cette catégorie du XIXe siècle parle encore aujourd’hui ? Est-ce que les gens comprennent ? L’enjeu, c’est que l’Église continue de transmettre au monde. François savait le faire. Léon XIV y parviendra-t-il ? »

Un manque d’annonces concrètes

En moyenne, depuis la Révolution française, les papes restent au pouvoir quatorze ans et quatre mois. Cela explique peut-être qu’ils ne ressentent pas, comme un chef d’État élu pour cinq ans, l’urgence d’imprimer leur marque dès les premières semaines de leur pontificat. Depuis soixante jours, Léon XIV semble d’ailleurs davantage soucieux de se placer dans la lignée de ses prédécesseurs, citant très régulièrement Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul II, Benoît XVI et François.

Depuis ses premières prises de parole, le pape péruviano-américain semble témoigner de son attachement à la « synodalité » (cette tentative de réformer l’Église vers une plus grande participation des laïcs), devenue un critère de sélection des évêques lorsqu’il avait la charge de ce dicastère. À ce jour, toutefois, aucune précision concrète n’a été donnée sur la poursuite du processus synodal lancé par François jusqu’en 2028 – sa réforme testament. Attendues en juin, les conclusions des groupes de travail issus du Synode sur la synodalité et consacrés, pour certains d’entre eux, à des questions jugées sensibles (rôle de l’évêque, diaconat féminin…) ont finalement été reportées au 31 décembre prochain.

Le 21 juin, Léon XIV a également choisi de délivrer un premier message sur les abus, mais là encore sans livrer de feuille de route. « Il est urgent d’enraciner dans toute l’Église une culture de la prévention qui ne tolère aucune forme d’abus – ni de pouvoir ou d’autorité, ni de conscience ou spirituel, ni sexuel », a-t-il écrit, dans une lettre adressée à l’équipe du Projet Ugaz, une pièce de théâtre péruvienne consacrée aux victimes du Sodalicio, une communauté dissoute par François début 2025.

Prime de conclave

Concernant les finances, aucune décision majeure n’a, là encore, été annoncée. Avant le conclave, la présentation de la situation économique du Saint-Siège avait inquiété les cardinaux. Selon les estimations transmises à La Croix, le déficit du Vatican s’élèverait à 70 millions par an. Le fonds de pension (retraite des employés) serait lui aussi dans le rouge. Le nouveau pape a fait le choix d’octroyer une « prime de conclave », supprimée par son prédécesseur en 2013 – 500 € net à chaque employé.

« Léon XIV calme le jeu en interne à la Curie, où les gens étaient très remontés contre François, mais la nouvelle gouvernance mise en place par le pape argentin sur les questions économiques a été bonne ; à voir maintenant si Léon XIV compte poursuivre les réformes », observe une haute source, qui estime que « 50 % du travail d’assainissement a été fait ». Le maintien ou non des organismes de contrôle mis en place sous le précédent pontificat sera très commenté. Mais le plus fondamental, et ce que tout le monde attend, au Vatican, ce sont les nominations.

Au lendemain de son élection, Léon XIV a fait savoir que les responsables de la Curie sont prolongés dans leurs fonctions jusqu’à nouvel ordre. Jusque-là, les nominations d’évêques ou au sein des dicastères étaient très largement dans les tuyaux avant son élection. « Quel premier bilan je tire des débuts de Léon XIV ? C’est difficile comme question… Il faut attendre le profil des futurs préfets, à commencer par celui de son successeur au dicastère pour les évêques, sourit le membre d’un dicastère dont le préfet a dépassé l’âge normal de départ à la retraite. Quand le cardinal Prevost a été élu, j’ai d’abord ressenti de la surprise : voir arriver à la loggia un homme que je croisais dans les couloirs, dans l’escalier, en allant au travail. Maintenant, c’est de la confiance : c’est quelqu’un qui connaît la Curie de l’intérieur. Mais nous sommes encore dans une période d’attente. »