Résumons. La diversité des humiliations qu’a vécues la Moselle est si grande que le temps est venu de la raconter dans un musée. Elle y rejoindra les faits de résistance, de déportation et d’incorporation qui sont, hélas, bien connus. Ouvrons donc le triste catalogue des mortifications oubliées : les 80.000 Mosellans germanophones de la zone rouge, au nord de la ligne Maginot, avaient été repliés, dès septembre 39, dans les Charentes. En privé, la plupart d’entre eux s’étaient déjà sentis, depuis des années, des citoyens entre parenthèses, en voyant les tourelles de la fortification française pointer des canons dans leur dos, à trente kilomètres de la frontière. Mais ils avaient gardé ce sentiment pour eux. Accueillis dans les campagnes autour de Cognac et Poitiers, où l’on n’avait encore jamais vu de Français qui s’exprimât en allemand, ils venaient juste de réussir à se faire adopter quand la débâcle de mai 40 les obligea, dès l’automne à rentrer dans leurs villages germanisés. Qui se souvient, au début de cet exil, de la mortification des grand-pères, incapables de dire trois mots en français, quand ils évitaient d’aller en groupe au café pour boire une bière, de peur de parler “platt” devant les Charentais méfiants qui les observaient du comptoir. ?
Qui a parlé du filtrage méprisant de ces mêmes familles, près de la gare de Saint Dizier, lors de leur retour au pays, dès l’été 1940? Cette façon qu’avaient eue les nazis de les trier comme du bétail en renvoyant vers les Charentes les infirmes et les éclopés ? Leurs trains avaient rencontré, en sens inverse, ceux des 80.000 Mosellans du sud, chassés de leur maison vers la zone libre avec la même angoisse au cœur. L’image, le temps d’un grondement, de ces deux convois qui se croisent dans une France déboussolée, c’est la sombre vision poétique de l’écartèlement mosellan.
J. G.
: