L’annexion nazie a laissé en Moselle un désordre des amours-propres, totalement refoulé depuis. Des blocages se sont nichés dans la culture bousculée des Lorrains du nord, empêchant leurs interprétations divergentes de se rejoindre plus tard dans une mémoire commune. Quand un Mosellan questionne un autre Mosellan pour savoir où il se trouvait entre 1939 et 1945, le premier baisse la voix et le second fait semblant de ne pas avoir entendu.
Le Français venu de l’intérieur, s’il cherche à comprendre ce silence, devra d’abord prouver que son bagage culturel n’est pas encrassé par des clichés « cocoricoteurs » sur les “casques à pointe”, clichés que véhiculent encore, dans l’hexagone, des bataillons d’ignorants. Il lui faudra montrer qu’il n’a jamais eu d’idées bien arrêtées sur la question des frontières, vu qu’on ne lui en a jamais parlé à l’école. Des spécialistes ont certes pris la plume pour écrire des centaines d’ouvrages sur les combats, les stratégies, les victoires ou les défaites. Il existe une documentation énorme sur le terrain politique ou militaire, mais peu d’informations sur les civils. Alors qu’en Lorraine du nord, on a toujours été bien placé au triste palmarès des guerres. A Gravelotte tout comme à Bitche, à Queuleu comme à Morhange, pour peu que le touriste ait du cœur, il sent la compassion lui électriser les jambes, comme si, depuis le sol, l’esprit des lieux remontait jusqu’à lui.
J.G.