Qu’avaient-donc fait ces gens durant tant
d’années ? Tout simplement appris à vivre ensemble, quitte à se le dire en allemand. Ne plus oser se parler en 1945 alors qu’on y était parvenu en 1919, c’était renoncer aux sages leçons de la première annexion.
Le fragile consensus n’a pas résisté au retour des malheureux francophones expulsés dont certains rentraient chez eux la rage au ventre. Les vieilles générations d’aujourd’hui ont vécu toute leur vie sous cette chape des apparences, où même les vérités les plus évidentes étaient devenues floues. Après cinq années de séparation, exilés ou nazifiés, les Mosellans ne savaient plus rien les uns des autres.
Des retrouvailles inexistantes.
Dans le meilleur des voisinages, chacun regrettait que l’autre ne soit pas venu frapper à la porte avec des fleurs. Aujourd’hui, beaucoup de témoins sont morts avant d’avoir parlé, quelle tristesse... Par respect humain, plutôt que de disséquer ses misères, une majorité de la population mosellane s’est bâillonnée. Certains, avant de quitter ce monde, ont pourtant éprouvé un réflexe d’honneur, même sans oser aller jusqu’au bout. En octobre 2007, on retrouve encore des feuillets jaunis, au fond du placard des grands-pères... Les filles se mettent à pleurer devant ces cahiers émouvants. Les fils, gênés, ne savent pas quoi en faire.
J.G.