Le Français de l’intérieur devine que les gens d’ici sont victimes, par grands-parents interposés, d’une période assez diabolique dont ils n’ont pas fait leur deuil. Trois générations plus tard, même si les plus jeunes en sont moins conscients, la guerre pèse encore et se rumine en silence. Alors que rien n’aurait dû les empêcher de raconter ce qu’ils ont vécu, les derniers témoins demeurent englués dans une posture défensive avec le sentiment d’avoir été floués. Ils se sentent entravés dans leur liberté de parole, à la façon des prisonniers qu’un juge a laissé partir avec un bracelet à la cheville. Il faut certes recadrer l’humiliation mosellane dans le panorama des malheurs de la guerre. Nous ne parlons ici que des blessures intimes. Sans oublier pour autant qu’entre 1939 et 1945, l’Europe a pleuré des millions de morts, subi des pertes incommensurables et connues des centaines de régions traumatisées. Mais c’est ainsi, tout drame à grande échelle garde en son sein des douleurs privées. Il ne s’agit plus de chiffres globaux mais de minuscules rancœurs, tapies au fond des êtres. Dans tous les cantons de Moselle, dans chaque village, dans chaque famille, cette inhibition a détruit des équilibres complexes qui maintenaient jusqu’alors un consensus dans les mentalités. (En 1960, les grands-parents ne parlent que le Platt alors que les parents et les enfants sont bilingues et s'expriment également en français)
J.G.