Quand les 9 000 expulsés du Bitcherland dans le Saulnois apprennent la réussite du débarquement des Américains, ils vivent tous dans l’espoir de retrouver leur maison. Hélas, il faudra attendre trois mois.
« Le 1er septembre 1944, c’est la retraite des Allemands, des colonnes de militaires traversent Manhoué et s’invitent à manger chez l’habitant. Un militaire allemand veut même faire rentrer son cheval dans notre cuisine afin que personne ne le lui vole. Mon père tout en étant en infériorité protesta et le cavalier impoli céda. Les chevaux, le vaches et les bicyclettes sont réquisitionnés. Les familles allemandes et roumaines ainsi que les douaniers quittent le village. Les militaires allemands reviennent occuper le village plusieurs jours après. Les combats commencent, des maisons brûlent. Pendant toute cette période de combats, tous les habitants vivent dans la cave. Souvent on retrouve plusieurs familles dans le même abri, chacun a l’impression d’être en meilleure sécurité quand il est en groupe. » nous raconte un Ormersvillérois qui l’a vécu.
Des Ormersvillérois rendent visite aux propriétaires de la maison à Manhoué où ils ont habité de 1940 à 1944
Les Polonais, interprètes des Américains
Le 13 septembre 1944, Manhoué est investi par les Américains. Il ne reste à Manhoué, fin septembre 1944 que les Mosellans et les Polonais. Les Américains, nous prennent pour des Allemands. Heureusement que les Polonais parlent aux soldats américains, d’origine polonaise et expliquent la situation des habitants de ce village. L’atmosphère se détend, et les Américains distribuent du chewing-gum et du chocolat à tout le monde, les enfants ont le droit de monter dans un tank. Ils restent deux à trois jours, puis quittent le village.
Evacuation à pied
Le 30 septembre les habitants sont invités par les Américains à rejoindre à pied après la tombée de la nuit, le village d’Aboncourt-sur-Seille, distant de deux kilomètres. Le transport par camion est trop visible. C’est loin, quand des tirs traçants passent au-dessus de votre tête. Chacun porte ce qu’il peut, les grandes personnes des valises, les enfants des sacs ou toutes sortes d’objets hétéroclites. Un petit garçon de cinq ans porte les chaussures de dimanche de son père dans une main, et dans l’autre le bidon de lait de 3 litres avec à l’intérieur le réveil et un coutelas. Beaucoup de grandes personnes pleurent, car pendant toute la marche, on entend la bataille faire rage et des tirs traçants traversent le ciel. Personne ne parle, chacun marche aussi vite que possible. Tout le monde a hâte de trouver un abri. La peur fait accélérer, une femme n’arrive plus à suivre avec son landau où est couché son bébé. Elle le prend dans ses bras et pousse le landau dans le fossé.
Transport en GMC
Enfin, la colonne de réfugiés, arrive par chance sans incident à Aboncourt. Dans le plus grand silence, les familles avec tout ce qu’elles pouvaient emporter, embarquent sur des GMC américains qui les emmènent à Nancy libéré.
Ils seront pris en charge par la Croix Rouge et le Secours National. Tout le monde est logé dans une école désaffectée 12, rue de Serre à Nancy jusqu’au 15 octobre 1944. Midi et soir, on servira des pâtes. A peine arrivé, l’argent allemand est changé en argent français. Le 5 octobre 1944, la police nationale établit des cartes d’identité française aux chefs de famille au vu du certificat de domicile et du livret de famille rédigés en français. Ils pourront toucher une indemnité de réfugié.
Toutes ces familles, dont les maisons étaient détruites ne pourront rejoindre leur village au Bitcherland qu’en 1946, car il fallait d’abord monter les baraquements pour les accueillir.
Joseph Antoine Sprunck