samedi 21 janvier 2023

Un gigantesque réseau d’informations caché sous nos pieds

 

 
Dans les forêts, les champignons se relient les uns aux autres grâce à leurs racines, de petits filaments appelés hyphes. Ils sont parfois si fins qu’on ne peut pas les voir à l’œil nu. 

Les hyphes se déploient sur des kilomètres et forment des réseaux souterrains si conséquents qu’ils ont été surnommés Wood Wide Web – “la toile des forêts” en anglais – . 

Dans une seule cuillère à café de terre forestière, il peut y avoir plusieurs kilomètres d’hyphes ! 

Le vrai nom de ce réseau est le mycélium.

Grâce au mycélium, les champignons communiquent entre eux, mais ce n’est pas tout. Des études ont révélé qu’ils sont connectés avec près de 80% des plantes des sous-bois. 


L'expérience de Suzanne Simard


Suzanne Simard est une chercheuse américaine qui a bouleversé notre compréhension de la forêt. 

Tout est parti d’une observation : elle a remarqué que les arbres plantés par les industries forestières après une coupe à blanc (type de coupe qui consiste à abattre tous les arbres d’une zone) développent plus difficilement des racines que les autres arbres qui poussent naturellement.

Pour elle, l’explication se trouve sous nos pieds : les arbres qui ont commencé leur vie en pépinière ont plus de mal à se connecter au réseau souterrain de racines et c’est pourquoi leurs racines se développent moins. En plus, ils ne bénéficient pas de l’aide des autres végétaux.

Cette chercheuse a écrit que :

 « Les arbres coopèrent, prennent des décisions, apprennent, se souviennent. Des qualités qu’on associe généralement à la sagesse et à l’intelligence. » 


Les végétaux partagent leurs ressources : la preuve du protocole Simard


Le mycélium est si vaste qu’il recouvre toutes les particules de sol ainsi que tous les pores.

Il a la capacité d’extraire les nutriments et l’eau enfouis dans le sol pour ensuite les transmettre aux arbres qui, en échange, leur fournissent les sucres qu’ils produisent grâce à la photosynthèse (ce dont les champignons ne sont pas capables). 

Suzanne Simard a mené une expérience pour prouver qu’il y avait des échanges entre végétaux au niveau des racines. Sur une petite parcelle, elle a planté des bouleaux blancs et des sapins Douglas. 

Elle a recouvert un spécimen de chaque espèce avec une sorte de cloche, comme un couvercle hermétique en plastique. Puis, elle a injecté du CO2 marqué au carbone 14 dans l’air de la cloche au-dessus du bouleau et du CO2 marqué au carbone 13 dans l’air des sapins.

En procédant à leur photosynthèse habituelle, les arbres créent des sucres qui contiennent :

  • du carbone 14, pour le bouleau,
  • du carbone 13, pour le sapin. 

En prélevant un échantillon de chaque arbre, elle a prouvé que les deux différents types de carbone se trouvaient dans les deux arbres.


Les végétaux sont solidaires


Suzanne Simard a poussé l’expérience plus loin : elle a fait de l’ombre au sapin pour qu’il ne puisse plus faire de la photosynthèse. De cette manière, il n’arrive plus à produire sa propre nourriture.

Avec ce test, la chercheuse a observé que plus le sapin peinait à faire de la photosynthèse, plus le bouleau lui envoyait des nutriments et du carbone. 

Elle a également remarqué que les arbres les plus âgés et les plus grands de la forêt protègent les plus jeunes ! Suzanne les appelle les arbres-mères car ils nourrissent et veillent sur les plus jeunes arbres.

Si ces arbres-mères sont coupés, un nombre colossal de connexions disparaît avec eux, puisque ces arbres sont hyper connectés. Ils ont tant de connexions que leur abattage met en péril la survie de toute une zone. 

Autre découverte déroutante : les sapins reconnaissent leurs descendants ! Ils établissent des liens plus forts avec leur « progéniture » qu’avec les autres arbres : ils leur envoient beaucoup plus de carbone pour soutenir leur croissance. 


Pour l’instant, pas de changement à l’horizon


Avec ses nombreuses expériences et recherches, Suzanne Simard est arrivée une conclusion évidente pour elle : en conservant des îlots de forêt et en coupant des arbres par-ci, par-là, au lieu de faire des coupes à blanc, les forêts se remettent beaucoup plus vite. 

Elle a bien conscience que notre société a besoin de bois… mais pour elle, nous devons impérativement repenser la manière dont nous gérons nos forêts.

Le premier pays d’Europe à avoir interdit les coupes à blanc est la Suisse (depuis 1902). Puis, la Slovénie lui a emboîté le pas en 1948. En Lettonie, la réglementation dépend du type de sol : 5 hectares maximum sur sol sec et pas plus de 50 mètres sur des sol tourbeux, par exemple.

Néanmoins, la pratique des coupes à blanc reste très répandue et Suzanne Simard ainsi que de nombreuses associations continuent de sensibiliser les différents acteurs aux enjeux de la gestion forestière.

Pour véhiculer son message, elle a notamment écrit un livre, À la recherche de l’arbre-mère, paru en mars 2022, qui a été traduit en français. 🙂

La connexion entre les végétaux est fascinante : c’est comme un monde mystérieux, invisible à nos yeux. 

La prochaine fois que vous vous promenez en forêt, prenez le temps de vous représenter cet autre univers qui s’étend juste-là, sous vos pieds.

 

Mathilde Combes



Sources:

[1] France Culture, "Timidité des arbres : comment communiquent les plantes ?",  
https://www.radiofrance.fr/franceculture/timidite-des-arbres-comment-communiquent-les-plantes-9317714
 
[2] Radio Canada, "Les secrets des arbres anciens révélés par Suzanne Simard", https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1856020/carbone-environnement-arbre-ancien-suzanne-simard-foresterie-colombie-britannique

[3] Canopée Forêts Vivantes, "La coupe rase, une pratique controversée et peu encadrée", https://www.canopee-asso.org/coupes-rases/