mardi 26 octobre 2021

Histoire de la Moselle, un lieu d'affrontements

Et voici la version française de notre histoire du premier département de la Moselle.


Moselle 1790

La frontière entre la France et la Province Rhénane prussienne va devenir le lieu de l'affrontement entre deux nations qui vont revendiquer des territoires :
-la France revendique les territoires de la rive gauche du Rhin, conquis sous la Révolution, et qu'elle considère comme un héritage gallo-romain.
-la Prusse revendique les populations de culture germanique, dont les peuples ont pris conscience lors de l'occupation française.
Le droit du sol s'oppose ainsi au droit du sang, distinction qui demeure encore aujourd'hui vivante dans les constitutions de la France et de l'Allemagne.
En Prusse la jeunesse qui s'était investie dans la "guerre de libération" devient la génération adulte, s'investit en développant le sentiment national autour de la culture germanique commune. En France Guizot investit, lui, dans la formation de la jeunesse, qui née sur le sol national, doit apprendre la langue française. Des écoles normales sont mises en place pour la formation des instituteurs. En Moselle il y en a une à Metz et une seconde à Helfedange pour former des enseignants issus de la partie germanophone afin qu'ils soient capables de diffuser la langue française. En Meurthe il y en a aussi une à Insming en plus de celle de Nancy.
Le clergé mosellan, surtout dans la partie germanophone du département, ne goûte guère l'enseignement délivré dans les écoles ainsi managées de Paris. L'utilisation de la langue des gens semble indispensable. La parution du livre de Jean-Jacques Weber en 1829 "etwas Gegengift wider den Zeitgeist für den gemeinen Mann in Deutschlothringen" fournit à propos le matériel pédagogique nécessaire à un enseignement alternatif. Il serait réducteur de ne retenir de lui que son aversion pour tout ce qui était élément marqueur de la révolution. C'était aussi un érudit et un ardent défenseur de la spécificité de notre région.
C'est dans ce contexte déjà délicat que survient la crise de 1839-1840. Les populations entraînées dans le flux et le reflux entre deux nationalismes fanatiques vont faire les frais de ces revendications. En effet la France rêve de conquêtes coloniales d'Algérie aux portes de la Turquie . Elle propose son aide à l'Egypte de Méhémet Ali qui menace la Constantinople du sultan turc Mahmoud II. Les succès égyptiens provoquent l'intervention de l'Angleterre qui réussit à ressouder la coalition anti-française avec l'Autriche, la Russie et la Prusse.
Par le traité de Londres de 1840 la France est dépossédée de ses ambitions coloniales égypto-syriennes et va chercher de nouvelles colonies sur la rive gauche du Rhin. Thiers revendique comme aux heures triomphantes de la Révolution, la frontière naturelle du Rhin, pour entraîner le peuple derrière un pouvoir affaibli qui espère ainsi souder la nation dans une ferveur patriotique renouvelée.
Cela ne fait que raviver les inquiétudes allemandes. Heine l'interprète ainsi: " damals Thiers unser Vaterland in die große Bewegung hineintrommelte, welche das politische Leben in Deutschland weckte; Thiers brachte uns wieder als Volk auf die Beine. " (« autrefois Thiers sonna le réveil de notre patrie, Thiers nous remit sur pied en tant que nation ») Toute l'élite s'y met. Les poètes composent des vers à la gloire de la nation. Max Schneckenburger écrit son hymne au Rhin allemand "Es braust ein Ruf wie Donnerhall, Wie Schwertgeklirr und Wogenprall: Zum Rhein, zum Rhein, zum deutschen Rhein! Wer will des Stromes Hüter sein? Lieb’ Vaterland, magst ruhig sein, Fest steht und treu die Wacht, die Wacht am Rhein!" (« Tel l'echo du tonnerre résonne l'appel, tel le cliquetis des épées et la force des vagues; au Rhin, au Rhin, au Rhin allemand! Qui veut en assurer la garde?») Nikolaus Becker appelle à la défense sanglante du Rhin " Sie sollen ihn nicht haben, den freien deutschen Rhein, Bis seine Flut begraben Den letzten Manns Gebein" . («Ils ne doivent pas l'avoir, le libre Rhin allemand, jusqu'à ce que son flot recouvre du dernier homme les ossements.»)
Les spécialistes des sciences humaines sont mobilisés. De la toponymie aux études sur les limites géographiques des langues en passant par l'histoire chacun y va de sa plume. Bernhardi publie la première carte sur laquelle on peut distinguer la "frontière linguistique" y compris en Lorraine. Von Moltke qui n'était pas encore général, se fait historien et réplique aux ambitions françaises par la revendication des terres germanophones. Ce n'est plus seulement la défense de la Rhénanie mais l'affirmation des ambitions prussiennes en Alsace et en Lorraine.
En retour presque toute l'élite culturelle française s'investit. Musset ironise et laisse plâner la menace: "Qu'il coule en paix votre Rhin allemand, que vos cathédrales gothiques s'y reflètent modestement, mais craignez que vos airs bachiques ne réveillent les morts de leur repos sanglant". Hugo analyse à sa façon: "Ce fut la grande adresse de lord Castlereagh et la grande faute de monsieur Talleyrand. Donner la rive gauche du Rhin à l'Allemagne c'était une idée, l'avoir donnée à la Prusse c'est un chef-d'œuvre. Chef-d'œuvre de haine, de ruse, de discorde et de calamité; mais chef-d'œuvre."
Et voici notre Moselle au cœur des rivalités entre nations européennes. La première des trois guerres qui la ravageront est déjà en filigrane.


Moselle 2021

Texte intéressant dont on ne connaît pas l'auteur