jeudi 16 février 2017

Le message du Père François

Évangile de Jésus Christ selon St Matthieu 5 38–48



« En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Vous avez appris qu’il a été dit : Oeil pour oeil, et dent pour dent. Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre. Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos !
« Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »

            Je vous avoue que ce passage d’Evangile m’a longtemps indisposé. J’avais de la peine à comprendre, comme beaucoup de chrétiens, que si l’on te donne une gifle sur la  joue droite, il faille tendre encore l’autre joue! Et le comble de tout, c’est : « aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent. » Autrement dit : « Soyez de bonnes poires, on pourra profiter de vous. » Vous avouerez, que cette interprétation est inacceptable. On n’est pas sur terre pour exercer une domination sur  ceux qui se laissent faire. Penser que Dieu soit à l’initiative d’une telle démarche, c’est le comble, c’est même impossible! Il nous faut donc chercher à comprendre, ce que Jésus a voulu dire dans ce passage d’évangile. Lui-même n’a jamais utilisé les autres à son service. Bien plus, le jeudi saint, lors de son testament,  il rappelle qu’il est venu pour servir et non pour être servi. Après son arrestation, lorsqu’il est giflé par un soldat, il ne tend pas l’autre joue, mais demande : « Pourquoi m’as-tu giflé ?»   Jésus renvoie ce soldat à sa conscience. Ce planton est tellement enfermé dans le rôle qu’il croit devoir jouer, qu’il ne se pose plus de question. L’interpellation de Jésus s’adresse à sa conscience et non à son geste.
            Dans notre quotidien nous sommes aussi enfermés dans l’immédiat. On réagit bien souvent sans réfléchir. Si on ne prend pas un peu de recul, l’instinct de survie prend le dessus, et on rend coup pour coup, en ajoutant encore de la rogne et de la vengeance. Alors là, il n’y plus de place pour la conscience. Quand il n’y a que l’émotion, on est prisonnier de ce sentiment. Or, la grandeur de chaque personne, c’est de faire travailler ensemble, et notre émotion et notre réflexion. Pour ce faire, nous avons besoin des autres pour y voir plus clair et pour décider en conscience. En somme, le cœur a besoin d’être éclairé par la raison et inversement, la raison doit tenir compte des attachements.
            Le cœur de la mission de Jésus, c’est de nous aider à découvrir que Dieu s’adresse à notre conscience qui est en perpétuelle transformation. Il fait de chacun un partenaire qui évolue et il respecte son choix.                                               
            Dans les tribulations médiatiques actuelles et les saccages de certaines cités de  banlieues, à propos d’une « bavure » policière, nous retrouvons cette difficulté de réveiller la conscience de chacun. Comme tous les dimanches, ce passage d’évangile nous invite à une réflexion, à un dépassement, à un progrès. « On vous a dit, moi aujourd’hui je vous dis : aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent.» Nous nous contentons facilement d’en rester à ce qui nous arrange. Et là, il n’y a pas d’issue. Beaucoup d’entre nous ont été perturbés, désespérés, écrasés et anéantis par des situations dramatiques, injustes et qui paraissent bloquées.                                                     
Mais dans cette histoire humaine, pleine d’obscurité, il importe d’apprécier qu’il y a toujours  des hommes, des femmes et des jeunes qui se sont levés, mobilisés et qui ont osé donner des perspectives. Ils rassemblent du monde et proposent des dépassements et de nouvelles façons de vivre. Mais ce qui est dommage, c’est que tout ce qui est beau et constructif est noyé par les infos qui ne mettent en valeur que les brutalités et les ravages.
            Le message de Jésus est percutant et remet en cause tous les pouvoirs et dominations. Personne ne peut plus se servir de Dieu, pour ses affaires ou pour ce qui l’arrange. C’est pourquoi, les puissants, même en utilisant la foule, ont tout fait pour éliminer Jésus. Et la réponse de Jésus sur la croix : « Père, pardonne leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. ». Par ces paroles, Jésus a mis en pratique ce qu’il enseignait. Et pourtant, Jésus sait que le pardon n’est jamais facile. Il nous dit que si le bien remplace le mal, c’est un don de Dieu. Un don de Dieu qu’il fait à notre conscience. Ceux qui entrent dans cette démarche sont portés vers des nouvelles possibilités. Notre région a vécu pendant des siècles sous des invasions, des guerres fratricides, semant la peur, la famine et les épidémies qui ont décimé la population à de nombreuses reprises. Aujourd’hui, la construction de l’Europe, sous l’inspiration de Monnet, Schumann et Adenauer, une nouvelle fraternité entre les peuples est devenue possible. Pourtant il reste beaucoup à faire, tellement on est loin d’une Europe sociale qui devrait donner la priorité aux plus fragiles.
            Dans ce combat  de tous les jours et de toute la vie, Jésus nous rappelle que ce n’est pas une gifle, un manteau en moins, ou un km en plus, qui devrait nous arrêter. L’Evangile et l’Eucharistie de ce jour, c’est la nourriture que Dieu nous donne pour réveiller notre conscience, pour œuvrer davantage au Royaume qui grandit grâce au pardon.  N’est-ce pas un  chemin qui donne de la joie au « vivre ensemble » !
François, prêtre retraité