Rassemblés pour célébrer le Prince de la Paix, nous sommes sidérés par cet assassinat barbare de Jacques Hamel prêtre, âgé de 86 ans, égorgé en pleine messe. La réaction instinctive d’un chacun, c’est de frapper encore plus fort, parce que c’est injuste et intolérable. Mais, n’oublions pas la raison de notre présence ici : c’est que Jésus a quelque chose à nous proposer dans les pires situations. Lui-même, affronté à la violence et à la haine, Jésus demande à Pierre de remettre son épée dans le fourreau. Jésus refuse de rajouter de la haine et de la violence qui ne peut déboucher que sur des règlements de compte, et cela n’est pas la justice. Par contre, il interpelle celui qui l’a frappé : « Pourquoi me frappes-tu ? » Il fait appel à la conscience.
Devant ces drames qui se multiplient, il faut d’autant plus de recul et de discernement, pour mettre nos pas dans les pas de Jésus. « Soyez miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux. »
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« En ce temps-là, du milieu de la foule, quelqu’un demanda à Jésus : « Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage. » Jésus lui répondit : « Homme, qui donc m’a établi pour être votre juge ou l’arbitre de vos partages ? » Puis, s’adressant à tous : « Gardez-vous bien de toute avidité, car la vie de quelqu’un, même dans l’abondance, ne dépend pas de ce qu’il possède. » Et il leur dit cette parabole : « Il y avait un homme riche, dont le domaine avait bien rapporté. Il se demandait : “Que vais-je faire ? Car je n’ai pas de place pour mettre ma récolte.” Puis il se dit : “Voici ce que je vais faire : je vais démolir mes greniers, j’en construirai de plus grands et j’y mettrai tout mon blé et tous mes biens. Alors je me dirai à moi-même : Te voilà donc avec de nombreux biens à ta disposition, pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence.” Mais Dieu lui dit : “Tu es fou : cette nuit même, on va te redemander ta vie. Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ?” Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu. »
“La vie d’un homme, fût-il dans l’abondance, ne dépend pas de ses richesses…” Pourtant, dans notre société de consommation, il n’est pas facile, de résister à cette invincible attirance vers les biens matériels qui procurent le confort et l’illusion d’une vie réussie.
De plus, on nous dit qu’il est indispensable de consommer, afin que la machine économique tourne bien. Pour que le chômage puisse régresser, il faut que la production augmente ! Comment pourrions-nous refuser un programme si alléchant et nous conduire en mauvais citoyens ? Comment refuser de soutenir une machine si bien huilée ? Or, ce n’est pas le cas. Tout est fait pour mobiliser notre affection et notre intelligence pour les mettre au pied d’un nouveau dieu, qu’on appelle le grand marché mondial incontournable, qui est un marché de dupe. Or, à la COP 21, en décembre dernier, les représentants de tous les pays du monde ont pris des engagements pour sauvegarder la planète. Le réchauffement climatique est particulièrement lié aux façons habituelles de produire et de consommer. Cela exige des nouvelles façons de nous conduire.
De plus, notre patrimoine et tous nos biens, acquis à la force du travail et à la sueur de nos fronts, nous tenons à les assurer contre tous les risques, comme s’il s’agissait d’en garantir la possession éternelle. Et pourtant, nous le savons tous, nous quitterons ce monde nus comme nous y sommes venus.
D’ailleurs, en avançant en âge, nous réalisons combien est fragile et précaire tout ce que nous essayons de construire à chaque instant de notre vie. Tout peut être remis en question à chaque instant. Notre attention ne doit donc pas cibler l’accumulation des choses matérielles. Au contraire avec nos fragilités, nous devons surtout prendre soin de nos liens avec les autres et avec Dieu. Pour chaque être humain, la vraie richesse : c’est la qualité de nos relations humaines. N’est-ce pas la raison de notre rassemblement aujourd’hui ? Il s’agit du vrai trésor de nos liens avec Dieu et avec les Hommes.
Dans l’évangile de ce jour, un homme fait appel à Jésus pour garantir son héritage. Jésus, quant à lui, situe bien le problème : c’est à chacun de gérer ses affaires. Par la parabole de l’homme riche, Jésus lui rappelle sa fragilité, au point de le traiter de « fou ». « Tu amasses pour toi-même au lieu d’être riche aux yeux de Dieu. » Jésus nous traite également de « fou » quand nous sommes tellement pris par l’âpreté au gain au détriment des services à rendre, des engagements dans la vie sociale, on n’a plus de temps pour se détendre, de s’informer, de lire, de prier.
La première lecture de l’Ecclésiaste confirme ce jugement : « Que reste-t-il à l’homme de toute la peine et de tous les calculs pour lesquels il se fatigue sous le soleil ? »
Nous voilà donc projetés, par la force des choses, bien au-delà de nos petits calculs mesquins et nos petits intérêts personnels ou familiaux à sauvegarder. Face à tous les problèmes qui émergent et que nous ne pouvons ignorer : réchauffement de la planète, génétique et clonage, éthique, santé pour tous, développement harmonieux de l’ensemble de l’humanité, partage des biens, croissance, l’avenir des jeunes… notre responsabilité de citoyens du monde et de chrétiens est en jeu. Ce qui nous est demandé c’est de gérer le bien de toute l’humanité et non de nous enrichir personnellement. Car l’enrichissement des uns se fait toujours au détriment des autres. L’accaparement des uns affame les autres, la pollution des uns empeste les autres… Ne nous déchargeons pas trop vite sur les “politiques” car, dans ce réseau d’interdépendance, chacun de nous, si petit soit-il, à son rôle à jouer.
Tous les ans, le CCFD-Terre Solidaire invite à la réflexion et à l’action dans le sens de la planète et le respect du développement de toute l’humanité.
Cela suppose évidemment une certaine vision du monde, un regard de foi sur notre destinée, et cela exige que nous ne limitions pas notre horizon aux seules choses de la terre. Actuellement, ce dimanche à Cracovie, le Pape interpelle les jeunes pour qu’ils prennent toute la place qui leur revient pour s’engager dans les communautés humaines et spirituelles.
Rude chemin pour un croyant dans un monde qui pousse à la facilité relative, qui nous pousse à la consommation avec un lendemain qui déchante bien souvent.
Que le Seigneur nous donne lucidité et sagesse – sans elles, les chrétiens ne pourront témoigner de rien au milieu du monde.
François, prêtre retraité