Alors qu’environ un Français sur 3 travaille déjà le dimanche, le gouvernement veut aller plus loin car il voit dans l’extension du travail dominical, notamment dans certaines zones géographiques et dans certaines branches d’activité, une manière de dynamiser l’économie, d’augmenter le volume des affaires et de créer des emplois.
Que faut-il en penser ?
Depuis le 14 juillet 1906, une loi impose à une entreprise ou à une administration d’accorder aux ouvriers et aux employés le repos hebdomadaire le dimanche.
Le Droit Local, en Alsace-Moselle, provenant pour l’essentiel de textes allemands de la fin du 19e s, protège plus qu’ailleurs le repos dominical… avec des dérogations, avant Noël notamment, par exemple.
Lu très récemment dans un grand quotidien local : « Epiceries ouvertes le dimanche : recours. FO et la CGT déposent un recours contre l’arrêté pris (le 16 juillet dernier) par le préfet de Moselle permettant l’ouverture des supérettes le dimanche ».
Le secrétaire général de la CFDT, dans La Croix du 26-9 : « Nous on veut affirmer très fort que le travail du dimanche doit rester l’exception ».
Ainsi, la plupart des syndicats sont peu favorables au travail dominical pour des raisons d’ailleurs très diverses : c’est une remise en question d’un acquis social précieux ; le travail dominical nuit à la cohésion sociale et familiale ; le volontariat des employés n’est pas toujours respecté car, dans une entreprise, il y a souvent des pressions pour pousser le personnel à accepter le travail dominical… qui n’est pas forcément rémunéré à sa juste valeur…
Les chrétiens se fondent sur la Bible pour justifier la nécessité de respecter un jour de repos, en l’occurrence le dimanche, premier jour de la semaine. Moïse, au cours de l’Exode qui conduit le peuple hébreu d’Egypte vers la Terre Promise, reçoit de Dieu les dix commandements au Sinaï. Le quatrième stipule : « Six jours tu travailleras mais le septième, tu te reposeras » ou, autre formulation : « Tu sanctifieras le jour du Seigneur ».
Au nom de la liberté individuelle, certains revendiquent le droit de travailler le dimanche pour diverses raisons : ce travail est mieux rémunéré; il peut y avoir un avantage à regrouper le travail sur le week-end pour gagner en disponibilité le reste de la semaine. Bref, chacun devrait être libre de pouvoir choisir le rythme de travail qui lui convient le mieux…
Pour permettre à chacun d’apporter une réponse personnelle à cette question, voyons ce que signifie cette expression « repos dominical » :
Le choix des mots en effet, n’est pas innocent ; parler de « repos dominical», c’est considérer le dimanche au moins comme un jour de récupération où on refait ses forces, où on « recharge ses batteries » : ré-cu-pé-rer.
- Soit en ne faisant rien ; repos, on se « pose » ; inaction, pas de dépense d’énergie : far niente (ne rien faire). « Traîner »…
-Soit en se détendant ; Se dé-lasser, « s’éclater », retrouver une certaine liberté d’organiser son temps, de choisir ses occupations ; chasser une certaine lassitude aussi, accumulée au cours de la semaine. La détente repose ; se détendre c’est faire autre chose ; quelque chose qui change par rapport à ce qu’on fait habituellement au cours de la semaine ; s’adonner à quelque chose qu’on aime faire et qui permet de s’évader, d’oublier, de ne pas s’ennuyer… le dimanche est parfois l’occasion de pratiquer un sport ; ou de bricoler, etc …
Mais attention au piège qui souvent revient à s’adonner à une activité qui n’est rien d’autre qu’une activité différente du travail de la semaine mais un travail quand même…
-Bilan : le repos dominical revient souvent à se détendre ou à s’occuper en… travaillant sous une autre forme… quand il n’est pas simplement l’occasion de prolonger le travail de la semaine pour rattraper ce qui n’a pu être terminé pendant la semaine. C’est sans doute une manière courante de « passer » son dimanche. Elle a le mérite d’apporter un certain plaisir même si ce n’est que …
… pour mieux retourner au travail le lundi ! Pourtant, ainsi envisagé, le repos dominical reste trop dominé par l’idée du travail dont il ne serait qu’une pause quand il ne se réduit pas à une variante du travail. Bref, à force de travailler, on finit par avoir beaucoup de mal à échapper à l’emprise du travail, à imaginer autre chose, à profiter de son dimanche… autrement et de façon plus épanouissante.
Non, ce n’est pas facile parce que nos esprits sont marqués, jusque dans les loisirs, par la pression socio-économique qui pousse à la maximisation du profit dans un contexte de plus en plus difficile et les gouvernements explorent de nouveaux moyens susceptibles de relancer une économie à la peine, fût-ce au détriment de la personne. L’extension, voire la généralisation du travail dominical est un de ces moyens. N’est-ce pas un comble, dans une société qui se veut de « loisirs » que d’inciter à travailler davantage le dimanche ?
Il va sans dire qu’il y a des secteurs où le travail dominical est accepté ; ceux des services, comme la santé, les secours (pompiers, gendarmerie…), l’hôtellerie… ; des secteurs dont l’activité permet la vie en société, la liberté, la sécurité des citoyens. Bref, le travail dominical devrait rester une exception si on comprend mieux ce qu’on entend par « repos dominical ».
Alors comment valoriser davantage le « repos dominical » ?
Se reposer le dimanche devrait être l’occasion privilégiée de sortir du « faire » pour mieux « être ». Comment ?
En évitant les activités qui poursuivent un but qui est d’abord en dehors d’elles-mêmes ; par exemple, tailler un arbre se fait pour améliorer la production et la longévité de l’arbre ; repasser est destiné à apprêter un habit…
En privilégiant et en variant les occupations dont l’auteur, c’est-à-dire l’être humain, serait le bénéficiaire direct et immédiat dans les divers aspects de son être même (physique, affectif, intellectuel, spirituel…); par exemple, écouter un morceau de musique ; voyager ; découvrir, lire, discuter, rencontrer les autres… Privilégier les activités culturelles sous toutes leurs formes… et les activités spirituelles en font partie intégrante.
Distinction parfois subtile et difficile à faire entre ce qui est du travail et ce qui n’en est pas.
En sortant du travail, non seulement on gagne en liberté mais on quitte un domaine particulier et limité qui ne concerne qu’un aspect de l’être humain pour s’intéresser à l’homme dans sa totalité. On sort du domaine de l’utilitaire et de l’activité ordinaire, habituelle, banalisée, du « faire » pour se soucier de sa manière « d’être » homme.
La tâche de chacun sera précisément de trouver comment il peut s’occuper le dimanche en se comportant non pas en « professionnel » mais en « homme » ; en cultivant en lui ce qui est propre à l’homme, qui développe son « humanité », son « intériorité ». L’éventail des occupations est large du repos à l’ouverture, à l’enrichissement de l’esprit et au développement de la vie intérieure, occasion privilégiée de se poser la question du sens de l’existence.
Le dimanche un jour comme les autres ?
Pour permettre des occupations non ordinaires le dimanche, mieux vaut sans doute préserver le repos dominical et ne pas faire du dimanche un jour comme les autres (nos Anciens l’avaient bien compris en s’habillant, en cuisinant autrement ce jour-là…).
Aborder ainsi le dimanche c’est en faire un jour de fête. « Feierabend » (feiern : fêter) dit-on en allemand ; et comme on ne fait pas la fête tout seul, n’est-il pas souhaitable que tous puissent disposer si possible du même jour de repos : le dimanche ?
JC Wagner