La mort du pape François ce lundi, quelles que soient votre religion et vos opinions politiques –(il était, volontairement, très engagé sur des questions sociales et politiques) – ne vous a certainement pas laissé indifférent.
Je souhaite souligner ici un trait qui vous a peut-être, comme moi, frappé, concernant les circonstances et « l’agenda » de son décès.?
Un décès attendu survenu dans des circonstances inattendues
Cette année, comme le pape François l’a lui-même souligné, les Pâques catholiques et orthodoxes sont tombées à la même date.
Au petit matin, de ce lundi de Pâques, j’ai reçu « l’alerte » d’un site de presse indiquant la mort du Pape François, survenue à l’âge de 88 ans.
Comme vous sans doute, je m’attendais à une telle annonce… mais je m’y attendais il y quelques semaines ; c’est-à-dire au cours de sa longue séquence d’hospitalisations en février-mars pour les complications d’une pneumonie.
L’annonce de sa mort le lundi de Pâques est pourtant apparue inattendue dans la mesure où elle est survenue au lendemain d’une apparition publique remarquée.
À bord de sa papamobile, le pape François avait salué les fidèles sur la place Saint-Pierre. Il semblait aller… mieux !
Et, paradoxalement, c’est sans doute le fait qu’il semblait aller mieux qui explique sa disparition soudaine.
Une santé en sursis
Pour vous en expliquer la raison, il faut revenir sur l’état de santé du Pape François quelques semaines avant son décès, voire plus loin encore.
Le pape avait quitté l’hôpital le 23 mars dernier, après 38 jours d’hospitalisation pour une pneumonie bilatérale.
38 jours d’hospitalisation, c’est long. Trop long pour un homme aussi âgé et fragilisé.
On sait que cette infection respiratoire grave était survenue sur un terrain déjà très affaibli : troubles pulmonaires chroniques (il avait été atteint d’une pleurésie à l’âge de 21 ans et amputé d’une partie d’un poumon), fatigue extrême, assistance respiratoire.
Le voir revenir de l’hôpital vivant était une bonne nouvelle, mais plutôt une exception médicale, comme le souligne un infectiologue français :
« II a survécu à une pneumopathie terrible qui aurait dû l’emporter. Il a défié les statistiques, mais elles l’ont rattrapé. Le surrisque de mortalité dans le mois suivant une hospitalisation comme celle-ci est très important. »[2]
En réalité, c’est finalement un AVC après « un coma et une défaillance cardiocirculatoire irréversible » qui a emporté le pape[3], qui souffrait par ailleurs d’hypertension, un autre facteur de risque déterminant de l’AVC.
Or on sait qu’une pneumonie affaiblit considérablement le cœur et les vaisseaux. L’oxygénation du cerveau est altérée. Et même si le corps semble aller mieux – parce que les antibiotiques font effet, parce que l’inflammation baisse – le cerveau, lui, reste à risque.
Bref, d’un pur point de vue clinique, les causes de la mort du pape sont très claires, et même, pourrais-je dire, cousues de fil blanc.
Il n’en reste pas moins que les circonstances de sa mort restent étonnantes, parce qu’il semblait, je le répète, aller mieux.
Le « mieux avant la fin » : une amélioration trompeuse
Vous avez peut-être entendu parler du phénomène du rally before death, ou, en bon français, du « mieux avant la fin ».
Il s’agit d’une amélioration spectaculaire – mais brève – de l’état de santé d’une personne condamnée, juste avant son décès.
Ce phénomène est bien connu des soignants en soins palliatifs. Peut-être y avez-vous été confronté dans votre proche famille.
Il est assez spectaculaire, en particulier lorsqu’il s’agit de personnes atteintes de maladies neurodégénératives comme Alzheimer, qui, pendant quelques heures ou une journée, semblent redevenues « normales », telles qu’elles étaient avant la maladie.
Le « mieux avant la fin » peut donc être assez déconcertant ; et donner de faux espoirs... quand on ignore qu’il s’agit d’une ultime et surprenante résurgence de vitalité avant la mort.
Ce phénomène a pu – c’est mon interprétation – jouer un rôle dans les derniers jours du souverain pontife.
Son apparition « surprise », souriant, debout, sans ses canules à oxygène, le dimanche de Pâques, avait tout sinon du miracle, du moins de la confirmation rassurante qu’il était tiré d’affaire pour un moment.
Cependant, ceux qui l’ont observé de près ce jour-là ont noté un visage fermé, une voix presque absente, un souffle court[4]. François avait beau vouloir bénir la foule, c’est son collaborateur qui a dû prononcer l’Urbi et orbi à sa place.
Ce n’était pas une guérison.
C’était un adieu.
« C'est un plaisir de vous voir en meilleure santé »
Vous le savez peut-être, la dernière audience officielle qu’a accordée le pape moins de 24 heures avant son décès était pour James David Vance, le vice-président des États-Unis.
Cette ultime rencontre a fait couler d’encre, puisqu’on a même reproché à J. D. Vance d’avoir tué le pape !
Je laisse de côté les théories les plus abracadabrantes ; on peut estimer plausible le fait que cette rencontre avec un homme dont il combattait la politique ait épuisé les dernières ressources vitales du pape.
Ce qui m’intéresse ici, c’est un autre détail, qui a aussi beaucoup fait parler ; c’est le commentaire du vice-président adressé au pape : « C'est un plaisir de vous voir en meilleure santé ».
On a raillé le manque de clairvoyance du politique américain.
Je pense, plutôt, que J. D. Vance a été le témoin de ce « mieux avant la fin » au cours duquel, en effet, une personne très affaiblie et au seuil de la mort connaît un sursaut d’énergie et de lucidité.
Ce sursaut, cette façon de jeter ses dernières forces dans une ultime action, est compatible avec un autre phénomène bien connu en soins palliatifs.
S’autoriser à partir
Les soignants en soins palliatifs témoignent souvent que certaines personnes en fin de vie semblent littéralement retenir leur dernier souffle jusqu’à ce qu’un but soit atteint.
Il peut s’agir d’un anniversaire, de la naissance d’un petit-enfant, d’un pardon donné ou reçu, de la dernière occasion de voir et de s’entretenir avec un proche parent, d’une date symbolique...
Le corps tient bon, parfois contre toute attente médicale, comme s’il répondait à une force intérieure plus puissante que tous les indicateurs biologiques.
La personne devrait être déjà décédée, mais tient envers et contre tout jusqu’à un moment précis auquel elle s’autorise à partir.
Une fois ce but atteint, cette attente comblée, ce cap franchi, le moribond s’autorise à lâcher prise.
Ce phénomène, mystérieux et bouleversant, nous rappelle que nous ne sommes pas seulement faits de chair et d’os, mais aussi de désirs, de liens, de sens – d’une âme, qui peut faire durer notre corps en dépit de la désagrégation de notre état physique.
Comment ne pas penser que ce phénomène a, dans le cas du pape François, joué un rôle déterminant ?
Pâques est la plus importante célébration de la tradition catholique, avant même Noël.
C’est la fête de la résurrection, de l’espoir, de la promesse d’une transcendance.
Je crois donc à titre personnel que le pape François a effectivement tenu jusqu’à cette date parce qu’elle comptait pour lui, pour les fidèles, et pour le message qu’il voulait faire passer à cette occasion.
Rester vivant jusqu’à ce moment précis semble être la dernière expression de sa volonté, de son amour ou de sa foi.
Ou des trois à la fois !
Portez-vous bien,
Rodolphe