Photo DR L’empire avait la forme de Babel. Il pesait sur la terre comme une meule Et la terre étouffait sous le poids de la roue, De cette pierre écrasante, l’empire. Elle souffrait dans la tenaille et le carcan. Malgré les dieux, l’humanité se sentait seule. Il lui manquait un père, un ami, dans le ciel. Il nous manquait un fils plus humain que nous-même. Il nous manquait une parole, son mystère. Il nous manquait une veilleuse dans la nuit. Les jours nouveaux étaient pareils aux jours d’antan. Un césar succédait à un autre césar. Il y avait toujours une province qu’il fallait Ajouter à la province la plus lointaine Comme l’avare dans sa cave tasse un autre sac Et puis cet autre encore, il reste assez de place. – Quand viendra l’heure de ton dernier souffle, Que feras-tu de ton trésor de boue ? Les forgerons forgeaient plus de cuirasses que de socs Et les charrons fabriquaient plus de chars que de charrues Et de charrettes pour les moissons et les noces. Le champ donnait du fruit ou bien n’en donnait pas. Quand venait la famine chez les paysans, Ils s’enrôlaient soldats sous le casque et l’épée, S'il faut tuer pour vivre, nous tuerons, comme à la chasse. C’était bientôt, plus loin, là-bas, d’autres famines. Et des révoltes qu’il fallait juguler par le sang. La conquête et la guerre étaient la loi du monde. On saluait aux carrefours le bronze des Césars Ou la pierre, le marbre, de leurs simulacres, Leur main levée au milieu des nuages Comme s’ils imposaient leur discipline aux vents. Nous vivions des malheurs et vivions des bonheurs. Que manquait-il ? Il nous manquait la joie. Il nous manquait de n’être pas plus que nous sommes. Ne vivons-nous que pour un jour cesser de vivre ? Ne sommes-nous que cette haleine fugitive Et le temps d’un regard qui s’étonne et s’éteint ? Ne sommes-nous que cette âme captive De l’ombre ? Ô cœur, mon cœur, comme tu m’es lointain ! Alors Dieu vint parmi nous, se fit homme. Il fut pour nous le chemin et la voie, La vérité, la vie, et cette main tendue Comme la main qui sauve un enfant qui se noie. Il nous rendit la lumière perdue Depuis le premier jour au sortir du jardin Que nous avons quitté, mais qui fut nôtre. Dieu voulut parmi nous se faire fils de l’homme. Ce fut, un jour de neige, à la fin de décembre En un lieu dit hameau de Bethléem, Quelque bourgade obscure et très pauvre de Palestine, Et tandis que César Auguste dénombrait, Les inscrivant de son encre latine, Un à un, en tout lieu, la foule des vivants Comme un pécheur lance la nasse dans l’étang, L’empire doucement se changeait en Royaume. Claude-Henri Rocquet, professeur à Paris, historien de l'art. |