Tribune
Brigitte Cholvy, Théologienne
Luc Forestier, Théologien, prêtre oratorien
Auteurs d’un récent ouvrage sur Vatican II (1), Brigitte Cholvy et Luc Forestier expliquent dans ce contexte à quelles conditions il peut être intéressant de travailler à nouveau sur les textes du Concile, notamment en l’envisageant à partir de nos problématiques actuelles.
Brigitte Cholvy et Luc Forestier,
le 10/10/2022 à 17:27
Le pape Paul VI, lors de la deuxième session du concile, le 29 septembre 1963
Il y a soixante ans, au moment de l’ouverture du concile Vatican II par le pape Jean XXIII, le 11 octobre 1962, l’humanité traversait une crise nucléaire majeure, et la question de la paix mondiale était prioritaire, en même temps que des questions sociétales émergeaient. Soixante ans plus tard, l’agression contre l’Ukraine ravive nos angoisses nucléaires, la crise écologique majeure interroge non seulement nos modes de vie mais aussi la pérennité de la vie humaine sur Terre, et nous vivons de profondes transformations de l’idée d’humanité et des conditions de vie. Les relations entre femmes et hommes sont modifiées, la question animale s’invite dans les débats, tandis que le numérique façonne radicalement nos existences.
Vatican II : pourquoi le pape François tient tant à célébrer l’anniversaire du concile
La situation des Églises chrétiennes, en particulier de l’Église catholique, est très différente de celle des années 1960 : déplacement du centre de gravité au Sud, indifférence, voire hostilité, dans les sociétés du Nord, crises systémiques qui interrogent les modalités de transmission de l’Évangile et l’inscription de la nouveauté chrétienne dans nos sociétés métissées. Le rapport à l’émotion, la pluralisation des pratiques, place des femmes et des hommes, les interrogations sur les ministères, en particulier sur l’épiscopat et le presbytérat, la diversification des communautés, les rapports troubles à la violence, les raidissements autour de la liturgie, etc., montrent l’ampleur des évolutions en six décennies. Une question se pose devant ces transformations politiques, culturelles et ecclésiales : est-il encore pertinent de reparler du concile Vatican II (1962-1965) ?
L’originalité de l’Évangile dans nos sociétés modernes
Car, de fait, depuis soixante ans, on en a beaucoup parlé! De nombreux travaux ont montré l’importance décisive du dernier concile pour mieux comprendre l’originalité de l’Évangile dans nos sociétés modernes, les conditions de sa transmission, par l’approfondissement de la matrice liturgique comme par le travail théologique à partir des Écritures. Nous mesurons aujourd’hui que Vatican II n’est pas seulement un corpus textuel mais aussi un événement, une expérience et un ensemble complexe de processus de réception, et que ces quatre éléments sont à penser en articulation.
Vatican II : le goût des autres
Mais, en même temps, pour beaucoup, notamment pour les plus jeunes générations, Vatican II appartient au passé, et se limite à un ensemble de textes perçus comme difficiles à lire. Et certains, réduisant Vatican II à la lettre des seize documents conciliaires, en restent aux juxtapositions, sans entrer dans les options de fond qui ont été prises au cours des débats.
Dynamique conciliaire
Au-delà du corpus, c’est l’attention à l’événement et à l’expérience vécue par les pères conciliaires mais aussi par les experts, les observateurs des autres confessions chrétiennes, les journalistes et finalement par tout le peuple chrétien, qui nous permet aujourd’hui de prendre la mesure des puissants apprentissages qui ont été vécus. Quant au quatrième élément, il relève de l’inscription de la dynamique conciliaire dans la réalité très diversifiée des communautés ecclésiales sur les différents continents depuis soixante ans.
Vatican II : l’Église se remet en cause
Ces multiples processus sont complexes à saisir, car ils interagissent à divers niveaux : au niveau universel, par les différentes étapes de la réception magistérielle, au niveau de la vie des Églises locales, comme à travers ce que chacune et chacun d’entre nous vit. Avec le pape François, nous sommes entrés dans la phase synodale de la réception de Vatican II, dont le Synode actuel constitue sans doute le sommet.
Interroger le concile de manière critique
Il nous semble que, dans cette complexité foisonnante, il est encore possible aujourd’hui de se référer au concile Vatican II. Cela est même hautement souhaitable, mais à une condition ! Nous pensons, en effet, que c’est à partir de nos questions d’aujourd’hui qu’il devient pertinent et utile d’interroger de manière critique les quatre éléments qui constituent le concile Vatican II. De fait, il n’est plus suffisant de seulement dérouler l’histoire de Vatican II depuis sa convocation en 1959 jusqu’aux textes promulgués.
« Il est l’heure de faire l’audit de la façon dont l’Église aborde la sexualité et le genre »
C’est en partant de nos questions vives d’aujourd’hui, écologie, violence d’origine religieuse, catholicité, relations entre femmes et hommes, défis du numérique, formes des ministères, etc., que le concile Vatican II, avec ses quatre éléments constitutifs, trouve son actualité et offre même de nouvelles perspectives non pour répondre immédiatement à nos graves interrogations contemporaines, mais pour nous replonger dans ses propositions avec un regard neuf, et notamment dans son usage, encore insuffisamment exploré, de l’Écriture.
Recevoir Vatican II revient, en effet, à écouter ensemble la parole de Dieu et à l’interpréter, en discernant les signes des temps afin de témoigner d’une espérance qui puisse prendre corps dans l’histoire. Il pourrait bien s’avérer que l’autorité du Concile découle finalement de l’autorité des Écritures en tant que Parole vivante.
Textes communiqués par le Père François