jeudi 24 juillet 2025

Baisse des ordinations..

 

« Dans une Église minoritaire, il faut oser poser la question de la place et du rôle du prêtre »

Charles Delhez

Prêtre jésuite, sociologue, « Église catholique

. Renaître ou disparaître » (Ed. jésuites, 2022)

Pour l’auteur de « Église catholique. Renaître ou disparaître », la baisse du nombre d’ordinations en France traduit un besoin de remise en question en profondeur de l’Église.
Pour l’auteur de « Église catholique. Renaître ou disparaître », la baisse du nombre d’ordinations en France traduit un besoin de remise en question en profondeur de l’Église.  FREDERIC SPEICH / LA PROVENCE/MAXPPP
Alors que les ordinations sont cette année en baisse en France, le sociologue jésuite Charles Delhez invite à ouvrir un débat autour de la place et du rôle des prêtres. Ce qu’on appelle « une crise des vocations » correspond selon lui à un profond changement du visage des communautés chrétiennes en Occident.

Les ordinations sont reparties à la baisse, titraient les journaux de la fin juin. Mais n’étaient-elles pas déjà à un niveau bien bas ? « Une société qui ne produit plus de prêtres est une société qui ne désire plus se reproduire sur le modèle de son passé religieux », lançait en son temps le jésuite Joseph Moingt. Manifestement, le modèle actuel du prêtre ne séduit plus la génération montante, sauf quelques minorités dans un milieu bien situé. Une Église clérico-centrée ne semble plus avoir d’avenir.

En France, pour 94 diocèses, 90 jeunes prêtres (dont 16 pour Paris et 10 pour Fréjus-Toulon) ont été ordonnés. À ce rythme-là, pour 34 966 communes ils seront au plus 4 500 dans cinquante ans, la retraite étant à 75 ans. Ils étaient 29 000 en 1995. En Belgique, pour 8 diocèses et 3 577 paroisses, il n’y a que 26 séminaristes belges. En 2023, il y a eu 10 ordinations et 6 abandons. Dans cinquante ans, un prêtre aura donc 12 « paroisses », petites ou grandes. Lors de son ordination, l’archevêque de Malines-Bruxelles, Luc Terlinden, a pu déclarer : « On ne pourra plus tenir le quadrillage (paroissial) tel qu’on le connaît. On va évoluer vers des pôles à partir desquels on pourra rayonner. »

Mais pourquoi tant de jeunes prêtres abandonnent-ils ? Il y a sans doute la question du célibat à tenir dans la durée, mais peut-être d’abord le fossé entre le milieu chaleureux du séminaire et la société sécularisée dans laquelle ils vont exercer leur ministère. « Être un jeune prêtre aujourd’hui, c’est quand même un peu sportif », constate Joël Spronck, recteur de l’unique séminaire des quatre diocèses francophones de Belgique où, pour les sept années de formation, ils sont seulement 12 séminaristes belges.

Assemblée clairsemée et âgée

Entre 2 % et 4 % des Français ou des Belges assistent à la messe au moins une fois par mois. La troisième génération d’abandon des observances religieuses ne baptise plus ses enfants, elle ne sera pas enterrée à l’église. Surtout dans les campagnes, les assemblées sont clairsemées et vieillissantes. Être prêtre séculier, c’est vouloir animer ces communautés chrétiennes. Les églises froides, même pleines, ne susciteront pas de vocations, tout comme le lait ne déborde pas quand il ne bout pas, disait le cardinal belge Danneels.

Quand comprendrons-nous que la « crise des vocations » est en fait une mutation de nos communautés dans les pays d’Occident ? Une Église minoritaire ne fonctionne pas de la même façon que majoritaire, analyse le sociologue Yann Raison du Cleuziou. Or nous sommes devenus minoritaires. Les valeurs et les croyances de la société et les nôtres ne sont plus les mêmes. Peut-être le lecteur de La Croix appartient-il encore à des milieux où l’Église semble majoritaire, mais ce milieu est lui-même minoritaire.

Vers une mutation profonde

Certes, il faut admettre la possibilité d’un imprévisible. Mais cet imprévisible n’est-il pas tout simplement un changement profond et rapide du fonctionnement de cette Église ? Nos contemporains sont en attente de communautés plus émotionnelles et fraternelles. Souvent plus petites, susciteront-elles des vocations à la manière de jadis ? De toute façon, pas suffisamment pour entretenir un christianisme sociologique. Nos communautés seront électives. Les baptisés seront pasteurs les uns des autres ! Le récent synode a parlé d’une « coresponsabilité différenciée ». Il faudra donc revoir la place du prêtre et son mode de vie.

Dans nos pays, l’Église devient de plus en plus une « mouvance » (Antonio Pagola), une mosaïque de petites communautés de styles différents, s’inspirant de l’Évangile, mais qui n’ont que peu conscience de faire partie d’un ensemble plus large. Beaucoup de croyants sont en effet méfiants par rapport à l’institution. Le défi sera de maintenir un lien entre elles.

Et l’eucharistie, tellement essentielle dans nos communautés ? Elle demande à être « présidée » au nom du Christ. Puis-je rêver avec Fritz Lobinger ? Cet Allemand, qui fut évêque en Afrique du Sud, plaide pour une mise en place de deux clergés. L’un, appelé « corinthien » (selon le modèle pratiqué par Paul), issu de la communauté ; il pourra être marié et s’investira à temps partiel pour animer la fraternité et présider l’eucharistie.

Il ne s’agirait donc plus de jeunes s’engageant assez tôt dans la voie ministérielle (ce qui est d’ailleurs de moins en moins fréquent), mais d’hommes mûrs choisis par la communauté et présentés à l’évêque qui les ordonnera. L’autre clergé, « paulinien », possiblement célibataire ; il œuvrera à temps plein pour conduire les communautés à l’état adulte, faire le lien entre elles, animer les prêtres de communauté. Mais faudra-t-il en rester au modèle masculin, ce qui, aux yeux de beaucoup de chrétiens occidentaux, n’est plus tenable Que de questions ! On n’y répondra sans doute pas en une génération, mais il faut oser se les poser.