La réforme du collège inquiète de nombreux enseignants d’allemand. Pour Thérèse Clerc, présidente de l’ADEAF, elle "ébranlerait fortement" cette discipline.
Thérèse Clerc
Vous êtes présidente de l’Association pour le Développement de l’Enseignement de l’Allemand en France. Comment se porte cette discipline aujourd’hui ?
Elle est fortement ébranlée par la réforme du collège. Une enquête, réalisée auprès d’enseignants d’allemand de collège, montre quecette réforme fait reculer notre discipline. Le nombre d’heures attribuées à l’allemand dans les dotations horaires des collèges à la rentrée 2016 est en forte baisse. Comme la plupart des élèves apprennent l’allemand en classe bi-langue, en réduisant le nombre de ces classes et les horaires de celles qui subsistent, les heures dédiées à l’allemand diminuent mécaniquement. D’autant que toutes les sections européennes de collège sont supprimées.
Cela a des conséquences sur l’apprentissage de l’allemand et le niveau, revu à la baisse, que vont désormais pouvoir atteindre les élèves en fin de collège. La réforme entre en vigueur de façon très inégale selon les académies. Tandis que les classes bi-langues seront massivement supprimées dans les académies de Caen, Rouen, Rennes, Poitiers, Lyon, Lille, et Reims, la quasi-totalité est maintenue à Paris.
Pour les profs d’allemand, quelles peuvent être leurs inquiétudes pour la rentrée 2016 ?
La situation des nombreux enseignants d’allemand, touchés, comme il apparaît dans notre enquête, par des réductions horaires parfois extrêmement importantes, est très préoccupante. Des postes sont supprimées en allemand, notamment dans les académies de Rouen, Lille, Grenoble, Lyon et Amiens. De nombreux vacataires et contractuels ne seront pas réembauchés. Les enseignants d’allemand vont être beaucoup plus nombreux à enseigner dans plusieurs établissements, ce qui alourdira leurs conditions de travail et rendra plus difficile l’organisation d’échanges scolaires. Ils n’auront plus les moyens d’amener les élèves au même niveau d’apprentissage, puisque les heures d’allemand vont diminuer. Ils ont aussi des inquiétudes sur le recrutement des élèves. Sans les bi-langues, combien seront-ils à choisir l’allemand, relégué en LV2 ?
Nous avons beaucoup de témoignages de professeurs indignés, exprimant leur incompréhension et leur amertume. Ils trouvent injuste que soit supprimé un parcours de qualité permettant aux élèves, d’atteindre, y compris dans les collèges de l’éducation prioritaire, un bon niveau dans deux langues vivantes. La communication ministérielle met en avant les « efforts exceptionnels » pour l’allemand alors que la réalité sur le terrain montre le contraire. Ce déni des conséquences de la réforme est perçu par les enseignants comme un manque de considération à leur égard.
Quelles sont les spécificités du professeur d’allemand ?
© Maren Winter – Fotolia
L’enseignant d’allemand est très souvent militant pour sa matière, car les clichés sur l’Allemagne et la langue allemande sont tenaces. De très nombreux professeurs d’allemand interviennent dans le primaire pour faire connaître les pays germanophones et donner envie aux enfants d’apprendre l’allemand.
Ils sont également très nombreux à organiser des échanges scolaires individuels et collectifs, permettant ainsi à beaucoup d’élèves d’avoir une première expérience de mobilité en Europe. L’enseignant d’allemand est particulièrement engagé et attaché à l’amitié franco-allemande !
Pourquoi les élèves doivent-ils apprendre l’allemand aujourd’hui ?
L’allemand est un atout important pour l’avenir des jeunes. C’est la langue qui a le plus grand nombre de locuteurs natifs en Europe. La France et l’Allemagne ont des liens étroits dans de très nombreux domaines, culturels, scientifiques, économiques et politiques.
Grâce à l’allemand et au réseau franco-allemand, les jeunes ont de nombreuses possibilités de stages, de poursuite d’études et des perspectives d’emploi. Une étude sur les offres d’emploi montre d’ailleurs que l’allemand est la deuxième langue la plus demandée après l’anglais. Les entreprises ont des difficultés à trouver des personnes qui parlent allemand.
Et qu’en est-il de l’allemand dans l’enseignement supérieur ?
Les cursus de langues et cultures germaniques sont moins attractifs que les cursus de langues étrangères appliquées(LEA). Il y a une crise du recrutement des enseignants d’allemand. Depuis trois ans, le nombre d’admissibles au concours est inférieur au nombre de postes à pourvoir. Cette année encore, un tiers des postes ne seront pas pourvus. A terme, avec l’entrée en vigueur de la réforme du collège, le vivier de bons germanistes va encore s’amoindrir.
Carte postale de l’ADEAF / Dessin de Plantu
Actuellement, quelles sont les revendications de l’ADEAF ?
Nous demandons des mesures qui, au lieu de faire reculer structurellement l’apprentissage de l’allemand, favorisent son développement ! Cela passe par des sections européennes et la généralisation des classes bi-langues, ouvertes à tous les élèves qui le souhaitent, à parité horaire pour les deux langues (anglais et allemand) tout au long des années collège.
Nous demandons une véritable politique des langues, ambitieuse, permettant aux élèves d’avoir un bon niveau de compétence dans deux langues vivantes. A partir de la rentrée, la LV2 va être enseignée à raison de 2 heures et demi par semaine, c’est un temps insuffisant pour construire de véritables compétences. Nous demandons au moins trois heures hebdomadaires. C’est un minimum pour apprendre une langue ! Notre pétition, qui a recueilli plus de 48000 signatures reste d’actualité.