Le film
documentaire : « Sarreguemines et sa région dans la
tourmente. 1937- 1950 » réalisé par Jean
Birckel et Daniel Collin s'appuie sur le fonds filmographie d d' André Poinsignon, déposé aux archives municipales de
Sarreguemines par sa petite-fille, Anne-Claire Jung. Il s'est
étoffé des interviews des derniers témoins oculaires de la période
concernée : Fred Dietsch, Raymond Ensminger, Raymond
Lehmann et Claude Rausch. Il a une durée de 3 heures.
Caméra au
poing, André Poinsignon a été pendant 15 ans le reporter très
scrupuleux des heures les plus lugubres et les plus éclatantes de
Sarreguemines, au XXe siècle. Ce qui en fait un témoin privilégié
quasi incontournable. Cameraman amateur habile et talentueux, il
nous a laissé des images saisissantes des événements marquants de
la montée des périls, de la Drôle de Guerre, de l'Annexion de
fait, de la Libération et de la Reconstruction. A notre
connaissance, il n'existe pas de document similaire en France pour
une ville de même importance. Monté chronologiquement, pourvu d'un
commentaire historique, le film permet d'appréhender sous un angle
tout à fait unique et original l'histoire mouvementée de notre
région.
Pendant la
période d'avant-guerre, le cameraman affectionne tout
particulièrement les grandes cérémonies patriotiques et les
défilés militaires martiaux, annonciateurs d'événements
gravissimes.
De la Drôle
de guerre - qu'il passe sur la terre de ses ancêtres, dans la vallée
de la Seille -, il nous dresse surtout un tableau hallucinant des
ruines à Puttelange, Rémering et Saint Jean-Rohrbach, suite aux
combats sur la ligne Maginot aquatique.
C'est bien
sûr l'Annexion de fait qu'il documente grandement et ce, d'une
manière saisissante. Il ouvre cet épisode particulièrement
tragique de l'histoire de Sarreguemines par un état des lieux et des
scènes du Wiederaufbau de
1940. Comme il est aux avant-postes des grandes parades
nazies, il permet de suivre l'inévitable embrigadement de la
population locale dans les formations politiques. Dans le lot,
l'Erntedankfest de Rohrbach-lès-Bitche constitue un morceau
de choix. Mais c'est aussi le grand témoin des catastrophes qui
s'abattent sur la ville. Il est là pour rendre compte du traumatisme
le plus profond du siècle subi par la cité des faïences :
l'enterrement des victimes du bombardement du 4 octobre 1943. Il met
ainsi à nu les horreurs abominables de toute guerre. Chose
rarissime, il n'hésite pas à filmer les gens réfugiés dans le
bunker et à sortir en pleine nuit pour suivre les impacts des
bombes. Inspiré techniquement par la Deutsche
Wochenschau, il nous fait vivre les dernières heures de
l'annexion ponctuées de rencontres sportives interrégionales, de
manœuvres militaires d'envergure et surtout de vastes rassemblements
propagandistes.
Sans doute à
court de pellicule, André Poinsignon n'offre que des images furtives
de l'arrivée des Américains libérateurs. Qu'à cela ne tienne !
Il relate de façon exhaustive la grande fête de la Libération du
10 mai 1945. Tout le département se retrouve à Sarreguemines. Autre
manifestation symbolique d'action de grâce, la Fête-Dieu du 3 juin
1945 qui se déroule dans un champ de ruine ! Enfin l'amateur
éclairé est là - chose surprenante - pour filmer le retour tant
attendu des malgré-nous libérés des camps soviétiques !
La reconstruction constitue le dernier volet de la trilogie
filmographique. On sent le cinéaste sarregueminois habité d'une
insatiable volonté de témoigner des grands chantiers en ville. Le
pont des Alliés est au cœur de son projet documentaire. Il en
décrit les phases successives avec une minutie de notaire. Jamais
personne n'a mis une telle précision pour décrire cet aspect
fondamental de l'après-guerre. Pour autant ses centres d'intérêt
ne se focalisent pas seulement sur le versant matériel de la
Reconstruction. Il se veut aussi le témoin du retour à la normale.
Vie religieuse et monde associatif lui en offrent la possibilité.
La fête de la moisson organisée par la JAC à Zetting en 1946 et
l'arrivée solennelle des cloches à Sarreguemines en 1947 attestent
d'une ferveur populaire fort représentative de l'époque. Au niveau
associatif, c'est le cyclisme qui tient une place de choix grâce à
l'organisation de courses épiques. Le 27 juillet 1947, il plante par
exemple sa caméra à Welferding et, sous une pluie battante, relate
le passage du tour de France. Les fêtes nautiques et accessoirement
les manifestations aéronautiques complètent la renaissance des
activités ludiques. Enfin, André Poinsignon sait très bien rendre
compte du lancinant tiraillement entre la célébration respectueuse
du passé qu'expriment les multiples manifestations en hommage aux
victimes de la guerre et la foi inébranlable en l'avenir qu'incarne
à merveille la dynamique et flamboyante foire-exposition de 1949. Le
tout se fait sous la figure tutélaire de Robert Schuman qui, comme à
son habitude, sait concilier les antipodes.
Didier HEMMERT